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DE SÉRIEUSES FAILLES À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE : MAJIZA PHILIP DEMANDE UNE RÉOUVERTURE DE SA PLAINTE



Montréal, 24 janvier 2018 — Il faut adopter des réformes majeures au système de déontologie policière et au traitement des plaintes des citoyens chez le Commissaire à la déontologie policière afin de prévenir la déconsidération de la justice.

Tel est le message de Majiza Philip, une jeune femme noire qui a été violemment arrêtée et accusée par la police de Montréal en 2014 et qui a été acquittée par la Cour municipale des accusations d’entrave et de voies de fait contre les policiers.

Le 21 novembre 2014, Mme Philip, alors âgée de 26 ans, quitte un concert de Machine Gun Kelly au Théâtre Olympia avec son colocataire. Celui-ci, ivre, est interpellé par la police. Mme Philip tente de communiquer avec son ami détenu, ce qui a mené à une arrestation violente et un humerus fracturé qui a nécessité un plâtre pendant 5 semaines et l’implantation d’une plaque de métal avec 6 vis. À cause de sa blessure, elle a perdu son emploi de cuisinière et n’a pas pu enseigner la danse pendant plusieurs mois (elle est la petite fille de la « Reine du tap » Ethel Bruneau).

Trois mois après, avec l’aide du CRARR, elle dépose une plainte auprès du Commissaire à la déontologie policière contre le policier qui selon elle, a employé une force excessive. Le Commissaire Paul Larochelle cite éventuellement 3 policiers impliqués, pour son enquête. C’est seulement en juillet, par le biais du Commissaire, que Mme Philip apprend que 4 accusations criminelles ont été déposées contre elle dont elle n’est pas mise au courant avant la plainte.

En mai 2016, après avoir complété son enquête, le Commissaire Larochelle rejette sa plainte en concluant que les trois policiers intimés n’ont pas commis de violations déontologiques. En fait, dans certaines parties, le Commissaire blâme Mme Philip pour ses agissements, citant même la « possibilité », selon un médecin consulté, que la fracture de son humerus a été causée par des « os faibles ».

Durant son enquête, le Commissaire n’a pas interrogé les 3 policiers cités en raison de l’article 192 de la Loi sur la police, qui permet aux policiers mis en cause de ne pas coopérer avec l’enquête du Commissaire.

En décembre 2017, après trois auditions, la Cour rejette les accusations et acquitte Mme Philip, en raison de grandes contradictions dans les témoignages des policiers et du fait que la poursuite ne rencontre pas le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable.

Les constats de la Cour soulèvent de sérieuses questions sur l’enquête et la conclusion du Commissaire Larochelle, notamment en ce qui concerne :

❏ Le fait que le Commissaire n’a pas interrogé les policiers intimés et a dû se fier à leurs rapports écrits pour son enquête. Or les témoignages de ces policiers à la Cour soulèvent des questions critiques quant à la validité de ces rapports. La décision du Commissaire peut-elle, par conséquent, être considérée fiable ?

❏ La Cour a questionné la version des policiers concernant l’usage de la force et le fait que l'un des policiers impliqué n’a pas rédigé un rapport sur l’usage de la force. Le Commissaire a-t-il examiné cette question ?

« Je crois que le commissaire voulait juste se dépêcher de fermer le dossier, car il aurait pu attendre le procès criminel et obtenir les témoignages des policiers à la Cour », a déclaré Mme Philip. « Maintenant que les contradictions flagrantes des policiers sont confirmées au tribunal, le commissaire me doit la réouverture de mon dossier », ajoute-t-elle.

Selon le directeur général du CRARR, Fo Niemi, le Commissaire savait en 2016 qu'il y aurait un procès criminel, durant lequel les agents et Mme Philip témoigneraient et seraient contre-interrogés. Malgré cette information, il a procédé à une enquête sans interroger les trois agents impliqués et a pris la décision de classer l'affaire avant que les policiers ne témoignent devant le tribunal.

Mme Philip et le CRARR demandent au Commissaire Marc-André Dowd de rouvrir l'affaire ou de lancer une nouvelle enquête à la lumière des témoignages des policiers à la cour en novembre 2017. Si cela n'est pas possible, le ministre de la Sécurité publique doit nommer un avocat indépendant pour examiner comment la plainte de Mme Philip a été traitée.

Le CRARR souligne également le fait que l'article 192 de la Loi sur la police est désuet et doit être aboli afin d'éviter de soustraire les policiers de leur devoir de collaborer à l'enquête du Commissaire.

« Cette disposition, sous prétexte de protéger le droit d'un policier de garder le silence ou de ne pas s'incriminer peut, dans la pratique, priver un citoyen plaignant de son droit à l'équité procédurale et à être efficacement protégé contre l'inconduite policière », ajoute M. Niemi.

« Voici le cas d'une femme, de surcroît une femme noire, qui a fait l'objet d'une arrestation injustifiée, avec l'usage d'une force excessive, qui a reçu quatre accusations criminelles et dont la version est jugée très crédible devant un tribunal mais non crédible par un organisme administratif. Comment expliquez-vous cela ? » demanda Mme Philip.