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LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DEMANDE À LA VILLE DE MONTRÉAL DE PAYER À UNE ANCIENNE ÉTUDIANTE ARABE DE CONCORDIA 45 000 $ POUR PROFILAGE RACIAL ET SOCIAL



Montréal, 29 août 2017 — Une bataille juridique de 7 ans pour une ancienne étudiante d'origine palestinienne de l'Université Concordia s'est finalement soldée par une décision sans précédent.

Dans sa résolution transmise aux parties à la fin juillet, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) demande à la Ville de Montréal et à deux de ses policiers, de verser un total de 45 000 $ à Mme Amal Asmar pour profilage racial et social, brutalité policière, amendes abusives et d'autres violations des droits suite à une arrestation qui a eu lieu en février 2010. Pour la première fois, le profilage racial et le profilage social sont reconnus dans un même cas.

« Cela a été une longue bataille, remplie d'obstacles frustrants, mais je suis très satisfaite de cette victoire tant attendue qui rétablira non seulement mes droits fondamentaux, mais qui servira également les personnes de couleur et les personnes socialement défavorisées comme les sans-abri à Montréal », a déclaré Mme Asmar, aujourd’hui coordonnatrice de santé maternelle et infantile du syndrome d'alcoolisation fœtale au conseil de bande de Meadow Lake au Saskatchewan.

En février 2010, Mme Asmar, étudiante de Concordia à l'époque, a été violemment arrêtée puis détenue par deux policiers de Montréal après avoir étudié jusque tard dans la soirée. Alors qu'elle revenait de la bibliothèque de l'université, après minuit, Asmar, qui portait un keffiyeh (foulard arabe), s'est assise sur un banc d'arrêt de bus sur la rue Saint-Catherine près de la rue Atwater, avec son sac d'école à côté d'elle sur le banc et son sac d'épicerie sur le sol en face d'elle, quand une voiture de police s'est arrêtée près d'elle.

Les deux officiers, Sébastien Champoux et Michael McIntyre, ont commencé à l'interroger de manière agressive, en anglais, lui demandant de s'identifier en lui disant que la façon dont elle utilisait le banc était contraire à la loi. Perplexe sur le fait qu'elle ne serait pas autorisée à placer son sac sur le banc, elle a demandé quelle loi interdisait de le faire. Mme Asmar a alors été brusquement arrêtée, traînée jusqu'à la voiture des policiers, plaquée contre le capot et menottée. Alors qu'elle hurlait de douleur, elle a été violentée puis jetée dans la voiture de police et ses effets personnels ont été fouillés.

Quand un superviseur s’est rendu sur les lieux, les agents lui ont dit que Mme Asmar avait immédiatement commencé à crier comme une personne folle et que, environ vingt minutes plus tôt, une femme avait émis un appel au 9-1-1 de l'un des téléphones publics à proximité, sans être certains de l'origine exacte. Mme Asma a entendu le superviseur demander à l'agent Champoux à plusieurs reprises s'il était sûr que c'était elle qui avait émis l'appel au 9-1-1. L'agent Champoux a répondu qu'il en était sûr et que la voix de l'appel avait un « accent étranger ».

Finalement, les deux policiers l'ont libérée et jeté ses sacs sur le sol. Ils ont refusé de donner leurs numéros d'identification et ils lui ont donné des amendes pour un total de 1 040 $. Cet incident a causé à Mme Asmar d'énormes souffrances physiques et un stress psychologique important, l'obligeant à consulter un médecin et à manquer ses cours. Lorsque le CRARR l'a assistée dans cette épreuve et a rendu son histoire publique, la ville a annulé les amendes.

Le CRARR a aidé Mme Asmar à déposer une plainte auprès du Commissaire en déontologie policière et une autre relative à la discrimination devant la CDPDJ. En 2014, le Comité en déontologie policière a sanctionné les agents pour les nombreuses violations commises, y compris: la détention illégale, l'arrestation illégale, la fouille illégale et l'utilisation illégale de la force. Les agents Champoux et McIntyre ont fait l'objet d'une réprimande et d'une suspension d'une journée, sans solde. Toutefois, l'élément de profilage racial invoqué dans la plainte a été rejeté par le Comité.

En ce qui concerne sa plainte de discrimination, la CDPDJ a statué dans sa décision que les deux agents du SPVM ont commis du profilage racial. Elle a également confirmé l'argument avancé par le CRARR selon lequel Mme Asmar était également victime de profilage social, compte tenu de la zone où elle a été violemment arrêtée par la police qui est connue pour avoir une forte présence de femmes sans abri. De plus, les types d'amendes qu'elle a reçues, correspondent à ceux délivrés de manière disproportionnée aux sans-abri.

Par conséquent, la CDPDJ réclame que la Ville de Montréal et les Champoux et McIntyre paient solidairement 30 000 $ en dommages moraux. En outre, la Ville devra verser 10 000 $ en dommages-intérêts punitifs en raison de la violation intentionnelle des droits de Mme Asmar, alors que les agents ont été condamnés à verser chacun 2 500 $ additionnels en dommages-intérêts punitifs.

En plus d'accorder des dommages-intérêts, la CDPDJ, dans le cadre d'une volonté de créer un précédent, demande au SPVM et à la Ville de Montréal d'entreprendre diverses mesures pour réformer leurs politiques et pratiques qui donnent lieu au profilage racial et social (voir la Fiche d'information). Selon le Directeur général du CRARR, Fo Niemi, les implications de cette affaire sont significatives.

Il s'agit de la toute première décision de la CDPDJ qui conclut que Mme Asmar a été victime de profilage racial et social. En ce sens, la CPDDJ ouvre la porte à la confirmation judiciaire des notions de discrimination intersectionnelle et de profilage social, qui n'a pas encore été faite par un tribunal au Québec.

De plus, la CDPDJ demande à la Ville un large éventail de solutions systémiques qui ont été souvent réclamées par le passé, mais qui ont été largement ignorées par celle-ci, tel que demandées dans son rapport de consultation publique de 2011 sur le profilage racial et, plus récemment, lors de la consultation de mai 2017 de la Ville sur le nouveau plan d'action sur le profilage racial et social. Ces solutions incluent notamment des questions telles que la collecte et la diffusion de données fondées sur la race (que le SPVM refuse ouvertement de recueillir), la politique contre les « incivilités » (que la Ville a empruntée de New York sous l'administration du maire Giuliani pour « nettoyer » les rues) et l'adoption d'un mécanisme de reddition de comptes sur les actions contre le profilage racial ou social.

Enfin, la reconnaissance du profilage racial par la Commission, là où le Comité en déontologie policière a omis de l'identifier, souligne le problème systémique du système de déontologie policière dans son traitement de plus en plus discutable des cas de profilage racial.

« Nous sommes heureux d'avoir contribué à cette décision importante parce que notre syndicat étudiant est engagé à lutter en faveur de la justice sociale et l'anti-oppression », a déclaré Asma Mushtaq, coordonnatrice académique et de plaidoyer au Syndicat d'étudiants et étudiantes de Concordia (CSU). Mme Asmar avait d'abord demandé l'aide de la clinique d'information juridique de la CSU, qui a par la suite confié l'affaire au CRARR.

« Ce n'est pas la première fois que notre clinique d'information juridique doit s'occuper de profilage racial et d'autres pratiques abusives de la police dirigées contre des étudiants de Concordia, en particulier les étudiants de couleur, et nous encourageons tous les étudiants victimes de discrimination à agir », a ajouté Me Walter Chi Yan Tom, directeur de la clinique.

« Cette décision semble montrer la nouvelle direction de la Commission sous son nouveau leadership, en ce qu'elle reconnaît les problèmes de discrimination systémique et d'intersectionnalité, et parce qu'elle cherche des remèdes systémiques, y compris un cadre de reddition de comptes qui manque depuis longtemps à Montréal », a déclaré M. Niemi.

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Fiche d'information Décision Asmar - Mesures systémiques 08-17.pdf63.76 Ko