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APRÈS 7 ANS, LES 15 TRAVAILLEURS CHINOIS OBTIENNENT 130 000 $ EN DOMMAGES POUR RACISME DANS L’EMPLOI


Montréal, 28 février 2014 --- Après sept ans de bataille judiciaire qui est allée jusqu’à la Cour d’appel, les 15 travailleurs chinois qui contestaient les agissements discriminatoires de la part de leur employeur, Calego International, ont finalement eu gain de cause et reçoivent 100 000 $ à titre de dommages moraux.

De plus, ils devront obtenir 30 000 $ à titre de dommages de la part de l’Agence Vincent que la Cour a tenue solidairement responsable en raison du rôle qu’ont joué son propriétaire et son président dans la commission d’actes de discrimination raciale.

Rappelons les faits. Le 11 juillet 2006, Stephen Rapps, président de Calego International Inc., convoque les travailleurs d’origine chinoise de son entreprise, qui avaient été référés à Calego par l’agence Vincent, à une réunion dans l’objectif de traiter d’un problème de malpropreté dans les toilettes et la cuisine commune de l’entrepôt dans lequel travaillent les victimes et d’autres employés de son entreprise.

Lors de cette réunion, M. Rapps aurait tenu les propos suivants : « This is Canada, not China. We take shower and shampoo every day, wash hands with soap, flush the toilet after use. Don't piss on the floor... This is my kitchen, not yours. My kitchen, I want it clean. You Chinese eat like pigs ». Plusieurs employés chinois se sentent humiliés et blessés, et une quinzaine vont jusqu’à quitter leur emploi après avoir demandé, sans succès, des excuses de la part du président.

Les victimes portent plainte avec l’aide du CRARR auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui leur donne raison en 2009 et ordonne à Calego et Agence Vincent de payer à chaque travailleur 10 000 $ pour violation de leurs droits. Les parties mises en cause ayant refusé de le faire, la Commission saisit le Tribunal des droits de la personne.

Le 11 avril 2011, le Tribunal conclut que les propos de M. Rapps sont discriminatoires en raison de l’origine ethnique ou nationale des travailleurs chinois. Par conséquent, le Tribunal :

  • condamne solidairement Calego, M. Rapps, Agence Vincent et Vincent Agostino (propriétaire de l’Agence Vincent) à verser à chacune des quinze victimes 7 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux (105 000 $ au total);
  • condamne solidairement Calego et M. Rapps à verser à chacune des quinze victimes 3 000 $ additionnels à titre de dommages-intérêts punitifs (45 000 $ au total) et
  • ordonne Calego et M. Rapps de mettre sur pied un programme favorisant l’intégration des travailleurs immigrants dans l'entreprise.
  • Calego, M. Rapps, Agence Vincent et Vincent Agostino font appel de cette décision. Selon eux, les gestes et propos de M. Rapps n’ont pas « détruit ou compromis » le droit à la sauvegarde de la dignité des victims. Les appelants ajoutent que les paroles prononcées ne sont pas discriminatoires, car il ne s’agit pas de propos haineux au sens de l’arrêt Whatcott de la Cour suprême du Canada.

    Dans l’affaire Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, la Cour suprême avait décidé que William Whatcott était coupable de discours haineux pour avoir distribué des tracts à caractère homophobe dans les quartiers de Saskatoon et de Regina en 2001 et 2002. Dans cette décision, la Cour suprême a maintenu la validité d’une partie du Code sur les droits de la personne de Saskatchewan qui interdit toute publication exposant des membres de groupes identifiables à la haine.

    Les appelants prétendent qu’affirmer le contraire de ce qui a été dit dans ladite décision violerait le droit à la liberté d’expression de M. Rapps. Par conséquent, ils estiment que l’action des plaignants devrait être rejetée.

    Dans une décision rendue en mai 2013, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du Tribunal en ce qui concerne les propos de nature discriminatoires du président de Calego. Elle accorde à chacun des 15 travailleurs chinois 7 000 $ à titre de dommages moraux (avec intérêt remontant à l’année 2009 lorsque la Commission a rendu sa décision en faveur des travailleurs). Néanmoins, la Cour n’a pas jugé qu’attribuer des dommages-intérêts punitifs étaient justifiés.

    La décision de la Cour d’appel est structurée en deux raisonnements : celui du juge Paul Vézina et celui du juge Yves-Marie Morissette.

    Selon le juge Vézina, les propos de M. Rapps ne constituent pas de la propagande haineuse au sens de l’arrêt Whatcott. Il affirme que même si ces propos avaient été adressés au public en général, ils n’étaient pas outrageants au point de susciter un sentiment extrême de haine envers les victimes.

    D’après le juge, les justiciables peuvent protéger et défendre leur honneur et leur dignité par la voie d’une action en diffamation pour des injures portées contre elles et leur causant préjudice.

    Le juge Vézina appuie la conclusion du Tribunal qui a estimé que les propos de M. Rapps étaient « blessants, humiliants, dégradants » et donc inacceptables dans les circonstances. Les propos ont donc causé un dommage d’ordre moral à chacune des victimes, comme en atteste leur vive réaction lors de la rencontre, les démarches qu’elles ont entreprises dès le lendemain de la réunion puis dans les jours qui ont suivi et par le fait qu’elles ont démissionnées n’ayant pas pu obtenir d’excuses.

    Il estime aussi que la somme de 7 000 $ accordée à chacun des travailleurs à titre de dommages moraux est élevée, mais pas déraisonnable, et que ces dommages constituent déjà une peine sévère pour le non-respect de leur droit fondamental.

    En revanche, le juge Vézina ne partage pas la décision du Tribunal d’accorder des dommages punitifs en affirmant que l’atteinte à la dignité des victimes était non seulement illicite, mais intentionnelle. D’après lui, M. Rapps n’avait pas pour intention de provoquer quelque blessure d’ordre psychologique menant au départ des plaignants. M. Rapps savait que ses propos allaient blesser ses employés, mais il ne pensait pas atteindre ses employés de façon aussi importante. Pour cette raison, le juge Vézina refuse d’accorder des dommages punitifs.

    Toutefois, dans l’hypothèse où il aurait accordé lesdits dommages punitifs, le juge Vézina précise que ceux-ci n’auraient pu excéder une somme symbolique. En effet, les dommages-intérêts punitifs ont une « fonction préventive » et la somme de 105 000 $ accordée à titre de dommages moraux atteint cet objectif, car elle est suffisante pour passer le message.

    Pour conclure, le juge Vézina confirme que tous les appelants sont solidairement responsables. Entre autres, les appelants Agostino et Agence Vincent étaient les « patrons » réels des plaignants. Par ailleurs, c’est M. Agostino qui a commis une faute personnelle, puisqu’il a participé à la rencontre, convoqué exclusivement les employés d’origine chinoise et n’est pas intervenu pour empêcher ou tempérer les propos injurieux de M. Rapps, même qu’il en rit.

    La faute de M. Agostino est toutefois moins grave que celle de M. Rapps. Le juge Vézina précise que la part de M. Rapps est de 75 % et celle de M. Agostino, de 25 %, et qu’une conclusion devrait être ajoutée en ce sens au jugement attaqué. De la sorte, avec des intérêts rétroactifs à la date de la décision de la CDPDJ (en 2009), le montant total s’élève à environ 130 000 $ pour les victimes.

    Le juge Morissette, quant à lui, est d’accord avec l’analyse du juge Vézina mais estime que les propos tenus par M. Rapps ne constituent pas un usage conforme au droit à la liberté d’expression. Selon lui, contrairement à l’affaire Whatcott, les insultes sont proférées dans l’espace privé, soit le lieu de travail des victimes, et elles s’adressent à un groupe distinctif, à savoir les 25 à 35 personnes d’origine chinoise qu’employait Calego à ce moment-là. Dans l’affaire Whatcott, les défendeurs ont été acquittés, car leurs propos « constituaient un apport légitime au débat public sur la moralité de l’homosexualité ». La présente situation est différente, puisqu’il n’est, pour la Cour, pas question d’intérêt public ou de débat public portant sur des questions d’intérêt général.

    Le 28 février 2014, l’Agence Vincent n’a pas encore réglé sa part des dommages. Les procédures judiciaires sont en cours afin de recouvrir cette somme.

    « Nous saluons le courage et la détermination des travailleurs et travailleuses chinois qui ont lutté pendant sept ans pour faire valoir leurs droits à l’égalité et à la dignité », soutient le directeur général du CRARR, Fo Niemi. « Ce cas confirme de nouveau l’importance pour les immigrants de connaître et de défendre leurs droits ».

    Me Maurice Drapeau de la Commission représentait les travailleuses et travailleurs chinois devant le Tribunal des droits de la personne et Me Aymar Missakila, le CRARR qui comparaissait en appui à la Commission à titre de partie plaignante.