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LA COMMISSION DES DROITS REFUSE LA REPRÉSENTATION D'UNE MÈRE ARABE SANS MOYENS DEVANT LE TRIBUNAL


Montréal, 23 novembre 2012 --- Une femme d’origine arabe, qui a eu gain de cause avec sa plainte de discrimination devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, a été informée qu’il n’est pas « dans l’intérêt public » que son cas soit porté par la Commission devant le Tribunal des droits de la personne.

En juin 2010, Mme K., enceinte de 7 mois, et une amie, Mme B., deux mères d’origine algérienne et de foi musulmane, magasinaient avec leurs trois jeunes enfants dans un grand magasin de réputation internationale, situé dans une petite ville. Elles furent l’objet de remarques xénophobes et racistes (« rentrez dans votre pays si vous n’êtes pas contentes ») provenant d’un employé du magasin. Quand les deux femmes ont poliment contesté poliment ces propos discriminatoires, elles se sont faites escortées hors du magasin par un agent de sécurité. Après être retournée à l’intérieur pour obtenir le nom de l’employé, dans le but de porter plainte, l’une d’elles s’est de nouveau fait escortée avec force, vers la sortie.

L’une des mères contacta le service à la clientèle du magasin pour loger une plainte. N’ayant pas reçu de réponse suite à sa demande, elle mandata un avocat pour faire le suivi ; celui-ci n’a pas eu de réponse non plus après avoir fait plusieurs appels. Les deux dames envoyèrent une mise en demeure, laquelle a été également ignorée par le magasin. Ce fut à ce moment-là qu’un représentant diplomatique de l’Algérie leur suggéra de solliciter l’aide du CRARR pour déposer une plainte en leur nom.

Dans sa décision rendue en juin 2012 et transmise aux parties en septembre dernier, la Commission constate que selon son enquête, « la preuve est suffisante pour passer à l’étape judiciaire », bien qu’il y ait une « pure question de crédibilité entre des versions contradictoires ». La Commission décide alors d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas saisir le Tribunal des droits de la personne, le dossier « ne soulevant pas une question d’intérêt public qui l’amènerait à continuer d’agir en faveur des [deux femmes] ».

Elle constate également que « les questions de droit et de fait dans cette affaire sont simples » et que les victimes, « avec le soutien de l’organisme plaignant, [sont] en mesure de faire valoir [elles-mêmes] leurs droits individuels ».

Bien que la Commission ait, en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, le droit d’exercer le pouvoir discrétionnaire de ne pas porter, à ses frais, un cas devant le Tribunal et ce, en faveur de la victime, sa décision soulève de sérieuses questions.

En premier lieu, l’une des femmes ne travaille pas et sa famille ne dispose pas de moyens pécuniaires pour retenir les services d’avocat et pour mener son cas devant le Tribunal. La preuve dans ce dossier, qui implique de nombreux témoins des deux côtés et de nombreuses preuves documentaires, signifie que les procédures et l’audition seront longues, et coûteront plusieurs milliers de dollars en termes de frais d’avocat, de huissier et même d’experts.

Également, il y a lieu de s’interroger sur le fait de considérer qu’il n’est pas « dans l’intérêt public » de porter, devant le Tribunal, un cas de xénophobie anti-arabe dirigée à l’égard de deux mères de famille dans une petite ville, traitées de manière inéquitables par un grand magasin de réputation internationale, qui a déployé de grands moyens pour faire échec à leurs doléances dès le départ.

« Ce qui nous inquiète le plus est de voir une mère de famille effectivement laissée pour compte par la Commission. Étant donné que l’aide juridique ne couvre pas ce genre de poursuite, elle doit maintenant trouver des moyens pour obtenir justice », note le directeur général du CRARR, Fo Niemi.

« Le régime québécois de protection des droits de la personne doit être accessible à toutes les personnes, surtout celles qui sont immigrantes et qui sont sans moyens financiers pour faire valoir leurs droits. Le législateur n’a pas conçu un système de justice à deux vitesses, où les victimes économiquement démunies sont laissées pour compte pour aller à leurs frais devant le Tribunal, surtout quand la partie mise en cause est une entreprise multinationale aux moyens illimités », conclut-il.

Le ministre de la Justice du Québec, qui a fait de l’accès à la justice une priorité, sera bientôt interpellé à ce sujet.

L’action contre le magasin et l’employé concerné sera intentée sous peu par Me Aymar Missakila, avocat au CRARR, devant le Tribunal des droits de la personne.