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DÉCISION DANS L’AFFAIRE DEBELLEFEUILLE : LES TRIBUNAUX DOIVENT TENIR COMPTE DE LA DÉFENSE DU PROFILAGE RACIAL


Montréal, 17 novembre 2011 --- Dans sa décision rendue hier dans le cas de monsieur Joël Debellefeuille, un homme noir intercepté dans sa BMW par un policier de Longueuil, la Cour supérieure conclut que le juge de première instance a commis une erreur en ne prenant pas en considération la défense du profilage racial que M. Bellefeuille a invoquée lors de la comparution.

Monsieur Joël Debellefeuille, gestionnaire d'entreprise et résident sur la Rive-Sud, est interpellé en juillet 2009 par un policier de Longueuil lorsqu'il conduit sa famille à bord d’une BMW de couleur noire. La situation dégénère après cet échange et finalement M. Debellefeuille reçoit deux billets de contravention au Code de la sécurité routière, pour entrave (défaut de fournir les pièces d'identification du véhicule) et défaut d'avoir des papiers d'assurance à jour.

En juin 2010, lorsqu'il conteste l’infraction d’entrave à la Cour municipale de Longueuil, il prend connaissance pour la première fois du rapport d'infraction présenté à la Cour et dans lequel le motif discriminatoire est écrit noir sur blanc : « le véhicule appartenait à un certain Debellefeuille Joël, il s'agissait d'un homme de race noir (sic) qui ne correspondait pas à première vue au propriétaire. Debellefeuille sonne comme un nom de famille québécois et non d'une autre origine ». Durant le procès, à plusieurs reprises, M. Debellefeuille soulève le fait qu'il a été victime de profilage racial lors de l'interpellation ; en outre, le policier en question affirme que la raison « première » de son interpellation est la race de monsieur Debellefeuille et qu'il intercepterait un Asiatique avec un nom de famille québécois.

Le 29 septembre 2010, le juge Marc Gravel rend son jugement en le déclarant coupable. Tout en écartant la défense de profilage racial soulevée par M. Debellefeuille (dont la violation de ses droits constitutionnels à l'égalité), le juge considère que les allégations de violation des dispositions du Code de déontologie des policiers (que M. Debellefeuille a soulevées) ne peuvent être prises en considération étant donné que la Cour municipale n'a pas compétence sur ce Code.

Finalement, la Cour cite un autre jugement de la Cour municipale de Laval, dans lequel le juge se réfère à la définition du profilage racial du Service de police de la Ville de Montréal (SVPM). Cependant, le juge n'élabore pas davantage et écarte cet argument strictement sur la base du fait que « la Cour municipale ne doit pas s'immiscer dans les affaires de déontologie policière ».

Monsieur Debellefeuille porte la décision en appel pour contester le fait que la cour n’a pas pris en considération les chartes des droits et libertés et qu’elle a incorrectement appliqué la jurisprudence canadienne en matière de profilage racial. Il cherche aussi à faire déclarer l’acte policier, d’une part, comme étant du profilage racial et, d’autre part, comme un moyen de permettre l’annulation du verdict de culpabilité. Me Aymar Missakila, avocat au CRARR représente M. Debellefeuille dans cette affaire.

Dans une décision orale, le juge Jerry Zigman de la Cour supérieure accepte les arguments principaux de M. Bellefeuille, présenté par Me Aymar Missakila, avocat au CRARR, à l’effet que les faits décrits constituent des éléments de preuve « substantiels » du profilage racial et ce, dès l’interception. Le juge Zigman constate que la Cour municipale a commis des erreurs en écartant la défense du profilage racial et en refusant de se demander si cet élément a influencé les actes du policier.

En outre, la Cour supérieure considère que la Cour municipale dans ce cas a refusé d’exercer son autorité lorsqu’il défère la question du profilage racial au système de déontologie policière. Par conséquent, la Cour annule la décision de la Cour de première instance et retourne le dossier à celle-ci, en précisant qu’elle devra être entendue par un autre juge.

« Je suis content de cette décision, bien que j’aurai souhaité que la Cour aille plus loin en annulant directement le verdict de culpabilité. Mon appel, je l’ai fait non seulement pour moi, mais aussi pour les autres et dans cette optique, je suis content que la Cour ait compris », déclare M. Debellefeuille. « J’espère que la Ville de Longueuil ne poursuivra pas l’affaire, car la preuve de profilage racial est si accablante dans mon cas ».

« C’est effectivement une demi-victoire, mais une demi-victoire fort importante pour la lutte contre le profilage racial et en faveur des droits de la personne », dit Me Missakila. « Ceci signifie que désormais, tous les tribunaux de première instance, telles la Cour municipale et la Cour du Québec, doivent prendre en considération la défense de profilage racial dans la contestation des infractions pénales. Les citoyens et citoyennes qui se représentent seuls, sans avocat, pourront bénéficier du rappel de cette balise judiciaire significative ».

« Nous aurons préféré que la Cour se prononce de manière plus pro-active sur le profilage racial puisqu’il y a si peu de décisions judiciaires au Québec sur le sujet », d’ajouter le directeur général du CRARR, Fo Niemi.

« Mais c’est un message très clair envoyé par la Cour aux policiers du Québec : vous pouvez intercepter les véhicules pour des fins de sécurité routière, mais vous ne pouvez pas le faire pour des motifs discriminatoires fondés sur la race du conducteur, que ce soit fait de manière consciente ou inconsciente ».

Ayant obtenu le statut d’intervenant dans l’affaire, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse soutient, entre autres, qu’il y a obligation du juge de prendre en considération le profilage racial comme moyen de défense à une accusation d’entrave au travail d’un agent de la paix. La Commission plaide également que la Cour municipale aurait dû suivre la définition du profilage que la Commission a adoptée en 2005 (voir www.cdpdj.qc.ca), au lieu de faire référence à celle du SPVM, considérée comme étant incompatible avec la jurisprudence canadienne et abandonnée depuis lors par celui-ci.

En réaction à la plainte de monsieur Debellefeuille déposée en 2010 contre le policier, le Commissaire à la déontologie policière citera l’agent devant le Comité de déontologie policière.